Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

mardi 3 mai 2011

Claude Lorrain, « L’Enlèvement d’Europe »

            « Donc, Europe et ses compagnes vont cueillant des fleurs au soleil. Chacune a sa fleur favorite, qui le narcisse, qui la jacinthe, qui la violette, qui le serpolet odorant. Mais la jeune princesse ne s’arrête qu’aux roses resplendissantes, à la couleur de flamme, dont elle remplit sa corbeille d’or. C’est alors que Zeus, fils de Cronos, l’aperçoit. Il en tombe instantanément amoureux.
            Zeus a la pratique des déguisements. Il se transforme, cette fois, en taureau. Non pas en taureau ordinaire, nourri dans l’étable et dressé à la charue, non comme paissant avec le troupeau ou comme dompté par l’aiguillon et traînant un char avec un lourd fardeau ; mais un taureau humain, trop humain aurait dit Nietzsche. Son corps harmonieux est de couleur blonde. Il porte un cercle blanc sur le front. Ses yeux lancent des éclairs d’amour. Ses cornes s’élèvent, pareilles au croissant de la lune. Il se fait voir d’Europe et des jeunes filles qui n’en éprouvent nulle frayeur. Toutes veulent s’approcher de l’animal dont la divine odeur domine même le souffle embaumé de la prée. Il s’arrête devant Europe. Elle essuie l’écume de ses naseaux, et enfin elle lui donne un baiser.
            Alors le galant taureau pousse un tendre mugissement. Il fléchit les genoux devant la belle. Tournant la tête, il lui désigne son large dos. “Accourez, crie Europe à ses compagnes, il va nous recevoir toutes sur son dos étalé, car il est doux, aimable et paisible.” Quelle fête ! Mais à peine est-elle installée sur le dos de la divine bête, que celle-ci se relève et s’enfuit avec son léger fardeau. En vain, la princesse, se tournant en arrière, appelle ses compagnes : elles ne peuvent plus l’atteindre. »

Gonzague de Reynold, Qu’est-ce que l’Europe ?, t. I, La formation de l’Europe,
Fribourg (Suisse), Luf – Egloff, 1944, p. 79.


Dans les Métamorphoses d’Ovide, le taureau n’est plus blond, mais blanc comme neige :

Quippe color nivis est, quam nec vestigia duri
calcavere pedis nec solvit aquaticus Auster ;
colla toris extant, armis palearia pendent,
cornua prava quidem, sed quae contendere possis
facta manu, puraque magis perlucida gemma.
Nullae in fronte minae nec formidabile lumen :
pacem vultus habet. Miratur Agenore nata
quod tam formosus, quod proelia nulla minetur,
sed quamvis mitem, metuit contingere primo :
mox adit et flores ad candida porrigit ora.
Gaudet amans et, dum veniat sperata voluptas,
oscula dat manibus ; vix iam, vix cetera differt,
et nunc adludit viridique exsultat in herba,
nunc latus in fulvis niveaum deponit harenis ;
paulatimque metu dempto modo pectora praebet
virginea palpanda manu, modo cornua sertis
nescia quem premeret, tergo considere tauri :
cum deus a terra siccoque a litore sensim
falsa pedum primis vestigia ponit in undis,
inde abit ulterius mediique per aequora ponti
fert praedam. Pavet haec litusque ablata relictum
respicit, et dextera cornum tenet, altera dorso
imposita est; tremulae sinuantur flamine vestes.

Ovide, Métamorphoses, II, v. 852-875.


            Claude Lorrain a représenté l’instant où la princesse Europe, entourée de ses compagnes, a pris place sur le dos du taureau blanc, qui déjà se tourne vers la mer pour enlever la fille d’Agénor. Le cadre est des plus harmonieux : aux vastes feuillages de l’arbre qui s’élève au tout permier plan, à gauche, correspondent, au moyen plan et à droite, deux arbres plus petits puis les tours qui protègent le port de Tyr, à l’intérieur et à proximité duquel mouillent quelques navires aux voiles repliées. Sur la ligne d’horizon se dessine une île méditerranéenne. Comme elle se trouve précisément dans l’axe du taureau, il s’agit probablement, dans la pensée du peintre, de la Crète, où Zeus métamorphosé va justement emporter Europe. Comme toujours dans l’œuvre de Claude Gellée, les personnages n’occupent qu’une portion restreinte de l’espace. Leurs vêtements utilisent toute la gamme des couleurs pures, mais le bleu-blanc et l’or ou le rouge mordoré l’emportent nettement, et s’unissent ainsi à la douceur du paysage pour donner à l’ensemble une connotation nettement apollinienne, tout à fait dans l’esprit du grand Lorrain.

Claude Lorrain, L'Enlèvement d'Europe, 1647.
Los Angeles, Paul Getty Museum.


Nos lecteurs trouveront quelques renseignements complémentaires ici:
http://www.latribunedelart.com/un-claude-lorrain-acquis-par-le-getty-museum-article001363.html


Vous trouverez ici la liste des tableaux et des dessins de Claude Lorrain que nous avons présentés sur ce blog, et que nous avons disposée selon l’ordre chronologique de la vie du peintre :
http://participans.blogspot.fr/2012/07/regards-sur-quarante-tableaux-ou.html

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